|
|
Temporada : Séville 2016 : un mercredi 13 pour l’Histoire ! |
(14/04/2016) |
La seconde semaine de la seconde Feria majeure de la temporada hispanique avait commencé par une corrida qui souffla le chaud et le froid. A prédominance du froid, froid dans les tendidos et gradins ; froid chez les toros de Daniel Ruiz, les six pourvus d’armures impressionnantes mais manquant cruellement de transmission. Les toreros s’ingénièrent pourtant à vaincre les difficultés, et n’y parvinrent que partiellement. David Mora, totalement rétabli de la terrible blessure qui l’avait éloigné des ruedos durant près de deux ans, fut certainement le plus convaincant des trois, tant à la cape qu’à la muleta mais l’épée le priva d’une récompense qu’une bonne partie du public demandait. Daniel Luque, excellent capeador, connut la même mésaventure alors que El Cid restait un peu loin du compte. Le lendemain pour la 10° corrida du cycle, les quatre toros de Jandilla, les deux de Vegahermosa et le sobrero d’Albarreal vinrent gâcher la fête que toreros et public espéraient. Après avoir laborieusement suivi ce fiasco ganadero avec résignation, nous comprenons parfaitement la réflexion de ce malheureux spectateur, relevée dans « Signes du toro » : « A ce prix-là, 83 Euros la place, j’aurais pu acheter au marché 4 kilos de gambas. Et j’aurais mieux fait… ». Morante se trouva dans l’impossibilité la plus totale de dessiner le moindre semblant de passe devant des bovidés complètement éteints et Diego Urdiales fut à peine mieux loti. Sauvons tout de même du désastre le troisième qui échut à Alberto López Simón. Lequel s’employa avec courage et détermination à réaliser la seule véritable faena de ce funeste mardi, chichement récompensée par une vuelta après pétition. Allez, les jours se suivent et ne se ressemblent pas toujours…Avec les toros de Victorino Martín, le meilleur allait enfin arriver en ce mercredi 13. Les heureux téléspectateurs et les aficionados qui se trouvaient à Madrid, Plaza de las Ventas, le 1° juin 1982 à quelques jours du début du Mundial de Football, se souviennent avec délectation de « la corrida du siècle dernier ». Devant de remarquables toros du même élevage, Francisco Ruiz Miguel, José Luis Palomar et Luis Francisco Esplà étaient sortis en triomphe, accompagnés de Victorino père et du Mayoral. Pour cette fois à Séville, le « sorcier de Galapagar » était resté devant sa télévision mais le fils était bien là. Et il allait vibrer autant ou sûrement davantage encore que tout un chacun avant de connaître à son tour les joies d’une vuelta d’apothéose assortie d’un triomphe à la romaine tout en satisfaisant, notoriété oblige, les demandeurs d’autographes et autres selfies.
Alors, allons-y pour tenter de résumer cette nouvelle tarde d’anthologie : Les premiers adversaires de Manuel Escribano et de Morenito de Aranda avaient déjà donné satisfaction à ceux qui aiment les « vrais » toros. Pourtant, nous n’avions encore rien vu avant l’entrée en piste du troisième, dénommé « Galapagueña », marqué du numéro 89, 555 kilos. Et Paco Ureña nous sortit une faena de haut vol, templée, délicate, harmonieuse, pleine de bon goût et couronnée d’une excellente estocade. Deux grandes oreilles, les toutes premières d’un même toro durant cette Feria 2016, venaient récompenser une œuvre majeure. Le bon Paco, très ému, aura moins de réussite face au dernier de la journée, mais il méritera totalement la sortie en triomphe qui lui sera réservée avec les autres lauréats du jour. Un triomphe qu’il partagera avec Victorino fils et Manuel Escribano, souverain face au quatrième, « Cobradiezmos », n° 37, 562 kilos, un magnifique toro cardeno (gris foncé, la couleur dominante dans cet élevage) devant lequel Manuel va se montrer tout à fait à la hauteur et mériter deux symboliques oreilles. Il se signe, s’avance lentement pour aller s’agenouiller devant la porte de chiqueros et y recevoir son adversaire à portagayola. Il ne le sait pas encore, c’est un véritable cadeau que le ciel lui envoie. Il entre sans la moindre hésitation dans sa cape pour des véroniques bien cadencées avant d’aller défier avec le même allant le picador Francisco José Ouinta dans deux belles rencontres. Et il va répéter comme à loisir ses charges inlassables durant les dix inoubliables minutes d’une grande faena, aspiré par la muleta de Manuel Escribano balayant le sable ôcre avec majesté. Des tendidos les mouchoirs s’agitent, des cris s’élèvent : Indulto, Indulto ! Le président sort enfin le fameux mouchoir orange qui gracie le noble Cobradiezmos. Dans quelques jours, remis de ses blessures, il rejoindra ses vertes pairies ; il l’aura ô combien mérité ! Car tout de même, il faut le souligner, un seul autre toro a connu les mêmes honneurs à la mythique Real Maestranza de Séville, le fameux « Arrojado » de Nuñez del Cuvillo de José María Manzanarès le 30 avril 2011.
Et ce 13 avril 2016 s’écrira lui aussi en lettres d’or dans la longue histoire de la Tauromachie. Pierre Nabonne.
|
|
|
|
|
|