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Temporada : Madrid Fin : L’offrande du sang pour les uns, le bonheur pour d’autres… (Compte-rendu de Pierre Nabonne) |
(18/06/2019) |
Nous avions quitté Las Ventas, ses pompes et ses œuvres à l’issue de la troisième semaine de la San Isidro. Les lourdes portes des arènes se sont refermées au soir du dimanche 16 juin sur la dernière corrida d’une série longue de 34 festejos. Le final s’est déroulé à guichets fermés, devant près de 24.000 spectateurs désappointés par la blessure du nouveau petit génie, Pablo Aguado. Devant un toro de Santiago Domecq mobile mais manquant, comme ses frères, d’un peu de fond, le jeune homme avait eu quelques gestes de classe avant de se faire prendre au moment de l’estocade. Avec une cornada de deux trajectoires, les dégâts étaient faits et on ne le reverrait pas en piste. Après Alberto López Simón assez anodin, le directeur de lidia El Fandi remplaça au pied levé le sévillan (opéré à l’infirmerie des arènes, puis dirigé vers l’hôpital) devant le dernier toro de la Feria. Brillant à la cape, hautement spectaculaire sur quatre paires de banderilles très risquées, il demanda peut-être trop à un toro sévèrement châtié sur trois piques (les seules de la Feria) qui s’éteignit trop rapidement.
C’était fini, il ne restait plus qu’à effectuer le bilan des deux dernières semaines. Il sera parfois succinct, vu le défilé trop souvent fastidieux de toros offrant peu d’options de succès aux hommes vêtus de lumières. A l’exception sans doute des deux Garcigrande- Domingo Hernández qui auraient pu valoir une sortie triomphale à Ginès Marín qui l’avait méritée. Mais après avoir coupé une oreille de son premier opposant, le président lui en refusa injustement une du dernier malgré la pétition largement majoritaire et le garçon dut se contenter de deux vueltas longuement acclamées. Pour voir la Grande Porte s’ouvrir, il fallut patienter jusqu’au mano a mano du samedi 8 juin entre Pablo Hermoso de Mendoza et Léa Vicens. Quelle fierté de voir notre compatriote ainsi consacrée comme la première femme digne d’un tel hommage, et quelle classe affichée par Pablo, vraiment…hermoso ! Et si les deux rejoneadores ont connu (avec l’appoint du jeune fils du maestro, Guillermo) le même final enthousiasmant deux jours plus tard à Nîmes, c’est parce que leur réussite ne doit rien au hasard, mais tout à leur talent allié à un travail acharné auprès de leurs superbes montures.
La tauromachie est aussi une remise en question permanente, et dès le lendemain la grave blessure du sympathique franco-valencian Román allait s’imprégner pour longtemps dans les esprits. Devant un dangereux toro de Baltasar Ibán, il avait effectué une faena toute en maîtrise et courage avant un coup d’épée très engagé. Le toro était foudroyé, l’oreille archi-méritée…au prix d’une effrayante cornada de 30 centimètres dans la cuisse droite. Heureusement le corps médical allait aussitôt effectuer un travail qui tient du prodige et la robuste constitution du garçon (qui a dû supporter aussi la transfusion de deux unités de sang) fait et fera le reste, mais l’issue aurait pu être tragique…Pepe Moral avait été l’un des premiers à se porter à son secours; son trasteo s’en est ressenti et on ne peut que le comprendre. Et Curro Diaz a coupé une belle oreille, bravo ! Le lendemain Eugenio de Mora reçut la même précieuse récompense, et le colombien Sebastian Ritter se retrouva lui aussi à l’infirmerie avant d’être transporté en clinique : décidément…Et la triste série continua lorsque le banderillero Pirri reçut à son tour un coup de corne avec une trajectoire ascendante de 35 centimètres en regagnant le burladero. Lors de cette corrida dite de Beneficencia rehaussée par la présence du Roi Felipe VI (fils de Juan Carlos, le Roi Emérite présent en sept occasions, accompagné par l’Infante Elena)), Diego Ventura coupa la seule oreille de cette tarde du 12 juin, un prix qui aurait certainement pu être plus important. C’était en tout cas mieux que El Juli et Diego Urdiales devant les Cuvillo, tous deux ayant échoué aux aciers et ayant dû se contenter de saluer.
Parmi les vaillants dignes d’être pris davantage en considération, Domingo López Chavez (très en vue également à Vic-Fezensac) a été appelé à saluer après deux grands combats face aux Cuadri, et Fernando Robleño a certainement réalisé l’estocade de la Feria devant un superbe toro de Valdellán. Mais pour l’apothéose finale il fallut attendre l’avant-dernière journée, celle du samedi 15 juin. Ni Sébastien Castella ni Andrès Roca Rey ne trouvèrent matière à s’illustrer devant des toros de Victoriano del Río insipides, sans saveur aucune. Contrairement aux deux de Paco Ureña qui ont heureusement relevé le niveau moyen du jour pour permettre au méritant Murcien de sortir le grand jeu, avec un superbe reçu à la cape poursuivi par de souveraines séries de naturelles main basse… jusqu’à l’accrochage qui le laissa le souffle coupé et les côtes endolories. Il repartit courageusement à l’assaut mais le charme était quelque peu rompu et, un pinchazo précédant l’estocade, il dut se contenter d’une vuelta très fêtée avant de rejoindre l’infirmerie. Il en ressortit pour combattre le dernier, «Empanado», le toro du triomphe d’un torero motivé à l’extrême, soutenu par un public désireux de le porter vers cette Grande Porte si convoitée qu’il avait déjà frôlée en sept circonstances précédentes. La huitième sera la bonne : aux cris de «Torero, torero» d’une assistance exaltée, le président sortira les deux mouchoirs et la fête pourra commencer...même si le bain de foule jusqu’à la fourgonnette du diestro sera aussi émouvant que douloureux avec une côte cassée.
Rarement triomphe aura été autant mérité : Paco Ureña, dont on chante les louanges depuis longtemps mais si souvent châtié par les toros, connaît enfin une juste consécration. Et elle nous fait plaisir ! Pierre Nabonne.
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