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Temporada : Paquirri, la grandeur d’un torero devenu mythique. (P. Nabonne)
(20/10/2024)
Pozoblanco, ville moyenne de la sierra de Cordoue, est en fête. Diodoro Canorea, le patron des arènes de Séville président de la corrida de ce mercredi 26 septembre 1984, sort le mouchoir indiquant le début du paseo. Francisco Rivera Pérez « Paquirri » dont personne n’a oublié le triomphe de l’an dernier (quatre oreilles, une queue, même endroit, même date), José Cubero « Yiyo » et Vicente Ruiz « El Soro » s’avancent sur le sable de la petite arène qui a fait le plein, 4.000 spectateurs, avant de combattre six taureaux de Sayalero y Bandrés.
Le quatrième, nommé « Avispado » (malin, en Français), 430 kilos, déjà refusé dans deux autres plazas pour manque de trapío, va croiser la route de Paquirri. Les billets d’avion pour Caracas sont déjà réservés, un festival au Venezuela et plusieurs autres contrats l’attendent en Amérique latine. Le maestro, en pleine confiance, a déjà coupé une oreille de son premier adversaire, la 74° de sa temporada (plus deux queues) en 49 corridas. Mais, alors qu’il a reçu son adversaire par véroniques assorties de chicuelinas qui font la joie du public et qu’il se dispose à placer Avispado pour qu’il reçoive la pique réglementaire, soudain c’est l’accident.
Le maestro, pris de plein fouet, secoué comme un pantin désarticulé qui s’accroche à la corne assassine, encorné à la cuisse droite et perdant son sang en abondance, est emporté à l’infirmerie des arènes. Laquelle, sous le regard inquisiteur des caméras de télévision qui retransmettent la corrida, va se révéler notoirement sous-équipée… Le malheureux Francisco, tout à fait conscient de la gravité de la situation, demande un peu de calme autour de lui : « Docteur, écoutez-moi. La cornada est grave, avec deux trajectoires au moins. Faîtes ce que vous devez faire. Tranquilo, Doctor », tels sont les derniers mots recueillis par les micros. L’hémorragie contenue tant bien que mal, le transfert vers Cordoue s’impose. Une course de vitesse va alors s’engager sur 80 kilomètres de routes particulièrement incommodes. Jusqu’à l’avant dernier moment Paquirri restera conscient ; il trouvera même la force de demander si sa femme, la chanteuse Isabel Pantoja, a été prévenue. Mais c’est la fin et il affrontera ses derniers moments avec un extraordinaire courage, le même dont il avait fait preuve dans toutes les arènes de la géographie taurine. La terrible nouvelle se répandra aussitôt et elle nous cueillera de plein fouet en écoutant comme chaque soir à 22 H les résumés des corridas de l’après-midi. Nous en resterons abasourdi comme tant d’autres, complètement sonné, incapable de trouver le sommeil dans une nuit qui s’avèrera interminable…

Plus tard viendra le moment de nous remémorer toutes les tardes de gloire passées à applaudir ce maestro aux yeux clairs, au sourire ravageur, ses réceptions valeureuses à la cape face au toril ou ses largas cambiadas au fil des planches, ses poses de banderilles le plus souvent mémorables, ses faenas de muleta dominatrices, ses estocades définitives pour autant de souvenirs inoubliables. Francisco Rivera Pérez, rapidement dénommé « Paquirri », était né le 5 mars 1948 en Andalousie, à Zahara de los Atunes. Son père employé aux abattoirs de Barbate, province de Cadix, novillero en son temps, a sans aucun doute transmis sa passion à ses fils qui rêvent de devenir à leur tour toreros. Après les premières becerradas qui s’avèrent plus qu’encourageantes, Francisco débute avec succès (une et une oreille) en novillada piquée le 28 juin 1964 à Cadix. L’année suivante le voit triompher dans des arènes d’importance, Cordoue, Saragosse (où il reçoit la première d’une large vingtaine de cornadas subies durant sa carrière), Bilbao, avant la tant rêvée Maestranza sévillane d’où il sort en hombros au soir du 1° mai 1966. Trois fois annoncé à la Monumental de Barcelone, il confirme l’étendue de son jeune talent. A tel point que son alternative y est programmée pour le 17 juillet avec Antonio Bienvenida officiant comme parrain de la cérémonie et Antonio Borrero « Chamaco» (père de l’idole nîmoise des années 90) pour témoin. Mais son adversaire initial, en provenance de l’élevage du marquis de Domecq, va s’ingénier à gâcher la fête et Paquirri est pris sans ménagements à la suite de ses premières passes de cape en plaçant son toro pour les piques. Emporté à l’infirmerie pour y subir l’opération qui s’impose, suivie d’un petit séjour à la clinique du docteur Olive Millet, il confiera à Rafael Manzano, correspondant de la revue spécialisée El Ruedo : « Je n’ai pas eu de chance, l’alternative devra être reportée au mois d’août et je vais perdre trois corridas qui étaient déjà signées. Au départ José Florès Camara, mon apoderado, avait prévu que la cérémonie se déroule à Séville en fin de saison puis la date a été avancée. J’ai encore bien des choses à améliorer, c’est mon père qui m’a appris ce que je sais sur les toros. Les blessures, il faut les assumer. J’ai beaucoup d’afición et l’ambition d’aller aussi haut que possible. J’y consacrerai toutes mes forces si Dieu me le permet », des propos qui deviendront prémonitoires…
Il lui faudra attendre le 11 août 1966 pour être enfin sacré matador de toros par Paco Camino avec Santiago Martin « El Viti » pour témoin face à un toro de Urquijo de Federico, 513 kilos. Trois jours plus tard sur le même sable de la Monumental catalane, il reçoit la toute première oreille d’une carrière qui s’annonce brillante. La confirmation d’alternative aura lieu le 18 mai de l’année suivante dans le cadre solennel des arènes madrilènes de las Ventas, des mains (encore) de Paco Camino. Sans trophée à la clé mais ce n’est que partie remise puisque quelques jours plus tard, en pleine San Isidro, il recevra une oreille d’un toro de Bohórquez.
Bientôt le nom de Paquirri va s’imposer dans toutes les Ferias de la géographie taurine ; partout sa vaillance, ses connaissances du toro, ses capacités de lidiador alliées à la variété d’un riche répertoire, le tout assorti d’un charme indéniable, font merveille. Les succès s’enchaînent et il atteint les sommets en 1969 avec trois sorties en triomphe à Madrid les 17, 22 mai et 12 juin lors de la corrida de Beneficencia, la plus prestigieuse de la saison taurine espagnole qui, pour l’occasion, se déroule en présence du Généralissime chef de l’Etat et de son épouse. Une fois n’est pas coutume, Francisco Rivera Paquirri manquera de réussite en posant les banderilles de son premier adversaire, appartenant à l’élevage de Lisardo Sánchez. Mais la suite sera toute autre avec une grande faena de muleta terminée, d’après les propres termes du Ruedo, par « une estocade sensationnelle, de parfaite exécution qui méritait amplement le trophée accordé. Alternant avec Diego Puerta qui avait déjà coupé trois oreilles et avec El Viti peu en réussite, Paquirri banderilla superbement son second adversaire, deux paires al cuarteo et la troisième posée al quiebro avec un réel brio. La faena, parfaite de conception, d’exécution et de variété, s’acheva sur un pinchazo et une énorme estocade qui lui valut une nouvelle oreille et la sortie en triomphe avec Diego Puerta, plus «Diego Valor» que jamais ».

Durant les saisons suivantes Paquirri se maintiendra tout en haut de la hiérarchie et les arènes françaises ne vont pas tarder à célébrer ses mérites. A Nîmes pour la Feria de Pentecôte 1970, « il fut complètement grandiose, toréant avec plaisir, enthousiasme, pouvoir et domination pour obtenir un triomphe total avec quatre oreilles coupées sous une clameur folle » », disent les chroniques. Béziers ne sera pas en reste et les arènes du plateau de Valras vont à leur tour chanter ses louanges. Annoncé pour le 15 août de l’année suivante avec Ordóñez et Camino, le cartel devient un mano a mano après que le grand Antonio ait décidé d’interrompre définitivement sa carrière sur une corrida malheureuse à Saint-Sébastien trois jours auparavant. Pour le revoir toréer en public, il faudra attendre les Goyesques de Ronda jusqu’en 1980, mais d’autres vont s’ingénier à faire moins regretter son retrait…Pour cette Assomption biterroise 71, Paco Camino en verve coupe trois oreilles et Paquirri en pleine euphorie double la mise, six pavillons et une queue. La pourtant exigeante revue «Toros» n’hésitera pas à titrer « Olé, Paquirri !», nous rappelle Hugues Bousquet qui nous indique aussi que, l’année suivante (qu’il terminera en tête de l’escalafón après avoir honoré 86 contrats) Paquirri, Miguel Marquez et Antonio José Galán se partageront un total de neuf oreilles. A Nîmes le bilan est tout aussi positif puisqu’en deux corridas Paquirri obtient sept oreilles et un rabo après avoir estoqué ses quatre toros a recibir.
Dans la sous-préfecture héraultaise la Feria est alors moins condensée qu’actuellement et l’édition 1974 proposera aux mélomanes et aficionados pour la soirée du 8 août l’opéra Carmen, avec José Falcón assurant la partie taurine. Le diestro portugais recueillera les applaudissements nourris de la nombreuse assistance avant d’être mortellement blessé trois jours plus tard à Barcelone, tragédie et grandeur de la Fiesta…A Béziers le 15 août les arènes ont fait la plein, 13.000 spectateurs, et tout se passe au mieux pour Paquirri gratifié de quatre oreilles et Manolo Cortés d’une alors que le bouillonnant Antonio José Galán prend lui aussi une part très active au spectacle. Août 1975, 1976, 1977, le beau Francisco devenu figura indiscutable poursuit son idylle héraultaise en autant de triomphes. Pour lui, réussite professionnelle et sentimentale vont de pair et il a convolé en justes noces avec Carmina Ordóñez, fille du maestro retiré, étudiante au Lycée français de Madrid. Deux futurs toreros naîtront de cette union, Fran Rivera Ordóñez et Cayetano, toujours en activité puisqu’il s’est encore produit dans une vingtaine de corridas lors de cette temporada 2024 qui vient de s’achever.
Paquirri, devenu un torero glamour, continue de tutoyer les sommets et la saison 1979 va être celle de la consécration définitive. Le 27 avril à Séville, il sort de la Real Maestranza par la Porte du Prince après deux splendides faenas. Moins d’un mois plus tard, la Grande Porte de Las Ventas s’ouvre devant lui le 24 mai, alternant avec El Viti et Palomo Linares. Le bien nommé « Buenasuerte », provenant de la ganaderia de Torrestrella, va se révéler comme un toro exigeant mais le maestro saura le comprendre à l’instant. Après les tercios de piques et banderilles parfaitement maîtrisés, « Francisco va réussir à lier plusieurs séries de derechazos, redondos et naturelles avec une profondeur extraordinaire. Les manoletinas serrées et la passe de poitrine parfaite vinrent clore une œuvre magistrale. Restait encore à la couronner par une grande estocade qui fit tomber le brave toro sin puntilla. Les deux oreilles en main, Francisco Rivera Paquirri, fêté sous une pluie d’œillets, avait démontré que l’art de toréer est un alliage de courage, de technique et de sensibilité artistique et il devenait l’un des toreros les plus importants de l’histoire », écrivait dans la soirée le chroniqueur de La Razón dont nous traduisons le texte.
Malgré une vie sentimentale agitée qui est souvent la rançon du succès des célébrités et un divorce par accord tacite avec Carmina, il continue de consacrer plus de trois heures par jour à sa préparation physique et technique. Il s’en voit récompensé par deux nouveaux triomphes à Séville et Madrid au printemps 1980. Une dernière Porte du Prince de la Maestranza l’attend le 28 avril de l’année suivante, trois oreilles et tous les prix de la Feria de Séville 1981. A Jerez il a fait la connaissance d’une jeune chanteuse andalouse, Isabel Pantoja, et ils se marieront au printemps 83. Un bébé, appelé lui aussi Francisco comme le veut la coutume en Espagne qui sera connu sous le surnom de Kiko, naîtra l’année suivante. Le 22 avril 1984 Paquirri coupe une dernière oreille à Séville puis trois à Grenade le jour de la Saint Jean. Le 25 juillet au Puerto de Santa María il sort vainqueur d’un mano a mano très attendu avec Paco Ojeda, ajoutant trois nouveaux trophées à son palmarès. On l’attend avec impatience à Béziers à la mi-août mais le rendez-vous est finalement manqué et Angel Teruel prend la place vacante. Un mois plus tard il est bien présent à Dax où il a triomphé l’année précédente avec Yiyo et Nimeño mais cette fois les toros ne sont pas au diapason et Paquirri doit se contenter d’une oreille, puis d’une autre à Logroño la veille de la tragédie. Il lui faut maintenant traverser l’Espagne pour rallier l’Andalousie profonde et honorer le dernier contrat de sa saison en Espagne avant de s’envoler vers les Amériques.
Ce 26 septembre à Pozoblanco, après avoir pris une légère collation suivie de l’habituelle partie de cartes avec sa cuadrilla vient l’heure du rituel de l’habillage, puis du départ pour la plaza. Jamais il ne reverra cet hôtel : Avispado l’attend et le monde taurin va se figer de stupeur… « Béziers vécut elle aussi des jours de deuil et décida de rendre un dernier hommage à sa mémoire. C’est dans cette arène où le torero triompha si souvent qu’une messe fut célébrée le dimanche 30 septembre 1984 en présence du maire de la ville, de toute l’équipe responsable de l’organisation de la Feria et d’un bon millier de Biterrois. Pour la cité qualifiée de Séville française, le deuil de Francisco Rivera était ressenti comme celui de l’un des siens », écrivait Max Tastavy dans le magnifique ouvrage « Arènes de Béziers, 120 ans de passions… ».
Après plus de 1300 paseos parsemés le plus souvent d’inoubliables triomphes, Paquirri rejoignait dans la légende Joselito «El Gallo» mortellement blessé à Talavera, Ignacio Sánchez Mejías crucifié à Manzanares, comme Manolete à Linares et bien d’autres encore. Au siècle dernier 138 professionnels du toreo ont perdu la vie, avec parmi eux 36 matadors de toros. Depuis, Victor Barrio à Teruel en 2016, Ivan Fandiño à Aire-sur-l’Adour l’année suivante, sont venus hélas s’ajouter à une longue liste non exhaustive. Orson Welles avait raison d’affirmer : « Le torero est un acteur auquel il arrive des choses réelles ». Y compris la mort, parfois…
Pierre Nabonne.















 
 
 
 
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