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Temporada : Morantissime ! texte de Pierre Nabonne |
(13/06/2025) |
La nuit tombe sur Madrid au soir du dimanche 8 juin 2025. Soudain une clameur : José Antonio Morante de la Puebla sort en triomphe par la Grande Porte de Las Ventas, aussitôt happé par une foule en liesse l’entraînant par la calle de Alcala dans un prodigieux cortège ! Deux heures plus tard, en peignoir au balcon de sa chambre d’hôtel, il viendra répondre aux acclamations qui n’ont cessé de célébrer le héros du jour. Pour lui le grand jour est arrivé mais il lui en aura fallu du temps pour enfin être consacré dans la plus mythique arène du monde. Né à la Puebla del Rio à quelques encablures de Séville en l’an de grâce 1979 il commença à toréer dès sa plus tendre enfance. Il reçut l’alternative à Burgos des mains de Cesar Rincón le jour de la Saint Pierre 1997, avec Fernando Cepeda pour témoin devant un toro de Juan Pedro Domecq. Il se fit rapidement remarquer par son style unique, à la fois classique et baroque salué par une première sortie d’apothéose à Séville par la Puerta del Príncipe le 18 avril 1999. Malgré des succès marquants dans toutes les arènes du monde taurin, des périodes d’instabilité chronique l’incitèrent à interrompre son activité. Avant de revenir plus fort à chaque fois. Il boucla la saison 2022 en tête de l’escalafón sur le chiffre mythique de 100 corridas (dont 20 achevées sur des sorties en triomphe) avant de connaître un triomphe majuscule à Séville le 26 avril de l’année suivante avec les deux oreilles et la queue de son second toro de Domingo Hernandez. Il avait fallu attendre plus d’un demi-siècle, 52 ans précisément après Francisco Ruiz Miguel pour qu’un torero puisse à nouveau se prévaloir d’un tel résultat à la Real Maestranza ! Au début du mois de juin 2024 il dit stop une nouvelle fois pour « prendre une pause indéfinie mais pas définitive », telle que l’assurait le laconique communiqué de presse produit à cet effet. Effectivement, il reprit à Santander le 23 juillet et il y fut même proclamé triomphateur de la Feria avant de s’arrêter à nouveau… En 2025, il était véritablement de retour dès le 29 mars à Almendralejo où il coupait deux oreilles, puis deux autres à Séville le 1° mai. A Jerez de la Frontera trois semaines plus tard, le bilan comptable était encore meilleur : trois oreilles et une queue ! A Madrid le 28 mai, il faisait se lever le public par cinq véroniques au ralenti avant de jaillir de son burladero pour détourner avec la seule aide de sa timbale la charge du Garcigrande, 5 ans d’âge et 582 kilos affichés, qui poursuivait son banderillero. Morante réalisait ensuite un authentique faenón, l’épée rentrait bien mais le toro résistait et les trois descabellos incitaient le président à refuser l’oreille que demandaient pourtant très majoritairement les tendidos. Et le maestro répondait placidement à l’ovation unanime avant de s’en aller fumer tranquillement son cigarillo. Après avoir coupé une puis deux oreilles à Aranjuez, il était très attendu à Nîmes le 6 juin pour conférer l’alternative au jeune Marco Pérez (2 oreilles du sixième, ouf !). Toutes les conditions semblaient réunies pour un triomphe majeur mais les Garcigrande du jour allaient se révéler trop insipides. Nous avions plus ou moins les mêmes craintes en sachant que les Juan Pedro Domecq étaient au programme de la corrida dominicale de Beneficencia à Madrid, lesquels allaient se révéler finalement assez nobles dès les premières véroniques de Morante suivies par des chicuelinas serrées qui commençaient à faire monter la pression. Et que dire de sa première faena de muleta, de ses séries de la droite liées dans un mouchoir de poche aux naturelles pieds joints entamées de face jusqu’à l’estocade parfaite qui lui valut une très belle oreille alors que partout ailleurs les deux auraient été accordées sans beaucoup d’hésitations…Restait encore à aller chercher le triomphe absolu devant le quatrième qui ne payait pourtant pas de mine à sa sortie en piste. Morante fut alors capable d’exploiter son fond de noblesse jusqu’à faire taire les vociférations de l’ineffable tendido 7. Certes, l’épée ne fut pas un modèle du genre mais elle s’avéra rapidement concluante, les mouchoirs fleurirent aussitôt dans les gradins et la présidence finit par octroyer le trophée synonyme de Puerta Grande de las Ventas, la toute première de sa longue carrière. Elle venait récompenser la trajectoire d’un Maestro qui vient de s’inscrire en Majuscules dans la longue histoire de la Tauromachie. Morante essuya furtivement une petite larme avant de s’octroyer une vuelta interminable et une sortie telle que Madrid n’en avait pas connue depuis des décennies. Son talent singulier n’en méritait pas moins… Pierre Nabonne.
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